23 novembre 2011
Tu écris toujours ? (67)
Conseils aux écrivains qui ont des problèmes
(Cet épisode de Tu écris toujours ? est paru dans le bimestriel Le Magazine des livres n°32 (septembre/octobre 2011)
L’autre jour, madame Tumbelweed, que je soupçonne d’être la concubine plus que la gouvernante de mon voisin écrivain, n’a rien trouvé de mieux à faire que de me confier ses états d’âme, ce qui prouve au moins qu’elle en a une ou, du moins, quelque chose d’équivalent. Elle m’a affirmé tout net que les écrivains sont des types à problèmes, commettant ainsi non seulement un impair puisqu’il m’arrive à moi aussi d’écrire bien que personne ne soit au courant, mais encore au pire un pléonasme, au mieux une redondance. Cela se discute mais aujourd’hui, je ne suis pas d’humeur parce que je rentre de vacances. D’ailleurs, je discute peu, de préférence avec les gens qui sont toujours d’accord avec moi, et je dois dire que l’échange avec madame Tumbelweed a épuisé en quelques minutes une grande partie de mes réserves annuelles de conversation. Malgré ses qualités évidentes (cette dame cuisine le canard à l’orange comme un chef et met un point d’honneur à se raser le visage de près tous les matins pour n’être point confondue avec son frère jumeau) madame Tumbelweed n’a pas la langue dans sa poche, ce dont on doit tout de même se réjouir de la part d’une personne au physique déjà bien assez difficile. De ce fait, qu’elle puisse être la maîtresse de son employeur m’intrigue au plus haut point mais peut expliquer, s’il en était besoin, pourquoi on désigne une institutrice par le terme de maîtresse : c’est pour dissuader les petits garçons d’en prendre une lorsqu’ils seront des hommes mariés.
Mais ne nous égarons pas dans la mangrove des relations amoureuses entre personnes qui, comme disait Jacques Lacan, veulent offrir à quelqu’un qui n’en veut pas quelque chose qu’elles n’ont pas.
Revenons au reproche que madame Tumbelweed adresse aux écrivains, lesquels n’écriraient pas une ligne s’ils n’avaient point de problèmes. Du coup, il n’y aurait pas d’écrivains, pas de livres, pas de littérature, pas de rentrée littéraire, pas de Prix Goncourt, Renaudot, Femina, Interallié, Médicis et Jeux Floraux de l’Amicale des Anciens Mutilés du Travail Bénévole de la Commune de Corneille-en-Désert. Évidemment, il y aura toujours de beaux esprits pour rêver d’un monde sans rien. Patience, ce monde viendra lorsque le soleil aura enflé au point de devenir une géante rouge qui gobera notre planète comme un gourmet aspire un ortolan. En attendant cet événement reposant et définitif, il nous faut compter, n’en déplaise à madame Tumbelweed, sur tous les humains problèmes qui viennent s’étaler de manière impudique dans notre bonne vieille littérature et dans celle d’avant-garde aussi. Ceci dit, comme l’affirmait un de mes anciens supérieurs hiérarchiques avant d’être mis au placard puis viré de son entreprise à laquelle il avait presque tout donné, ce qui entre nous est une drôle d’idée, « il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solutions. » Comme madame Tumbelweed, j’aurais plutôt tendance à penser l’inverse tout en nuançant : l’absence de solution est parfois la solution.
Bien. Redescendons un peu des cimes de la philosophie et examinons la solution qui peut nous permettre à nous autres écrivains d’endosser un costume plus seyant que celui de « type à problèmes » , non pas pour plaire à madame Tumbelweed et à ses nombreux frères et sœurs spirituels mais simplement pour nous faciliter la vie en société. Tout repose sur un sommeil de qualité. La plupart des écrivains qui produisent des œuvres soporifiques sont de mauvais dormeurs et par conséquent de mauvais coucheurs. Le mieux est à mon avis de se référer au modèle que nous offre Mère Nature pour peu que nous soyons capables d’en observer la fabuleuse ingéniosité. Prenons un exemple classique. Vous êtes un écrivain insomniaque ? Inspirez-vous du loir et voyez comment cet astucieux mammifère rongeur sait se reposer toute la journée en dormant comme un loir. Attention cependant. On peut lire sur le site instructif http://www.marchelibre.be : « la peau qui entoure la queue du loir est susceptible de se déchirer lorsque l'animal est saisi par là. Le prédateur se retrouve alors avec un fourreau garni de poils et la proie qu'il convoitait a eu le temps de s'échapper. Les vertèbres caudales mises à nu finissent par se dessécher et par tomber. Il n'est pas rare de trouver, dans la nature, des animaux mutilés de la sorte qui semblent mener une vie parfaitement normale. »
Moi-même je me dis souvent qu’en ce qui concerne mes rythmes de sommeil perturbés, il me faudrait imiter le loir. Pour le sommeil seulement...
Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE), inédit. Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change à Lyon (Un recueil de 96 pages, format 11 x 18 cm. 13 € port compris. ISBN 978-2-9534259-1-8). En vente aux éditions Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert, 69003 Lyon. BON DE COMMANDE
La suite du feuilleton dans le Magazine des livres n°33 qui vient de sortir en kiosques : Conseils aux écrivains qui veulent devenir célèbres.
Photos : - quand quelqu'un a eu besoin des roues de ma voiture, à l'époque où j'habitais en ville.
- Visite d'un loir au-dessus de la porte d'entrée, chez moi à la campagne.
16:01 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : feuilleton, tu écris toujours ?, christian cottet-emard, littérature, humour, lafont presse, écrivain, auteur, magazine des livres, éditions le pont du change, lyon, paris, problème, solution, maîtresse, concubine, loir, sommeil, blog littéraire de christian cottet-emard, condition d'auteur, voiture, roue, pneu, jante, vol, trafic, prix goncourt, renaudot, femina, interallié, médicis, jeux floraux
17 novembre 2011
La bonne étoile
Tu regardes toujours à la fenêtre avant de te coucher car ce que tu vois dehors dans le halo du dernier réverbère est ta vie
Dans ce tableau nocturne le pré quelques buissons l’orme les frênes le chat la route où trotte parfois presque tranquille le renard
Pas grand-chose en somme mais tout ce dont pouvait sans doute rêver le pauvre gars dans les tranchées quelle chance fut la tienne de n’être pas ce pauvre gars
Ce clair de lune encadré par la fenêtre quel luxe cette fenêtre entre toi et le monde quelle chance
© Éditions Orage-Lagune-Express 2011. Droits réservés.
Clair de lune derrière la maison (photo Christian Cottet-Emard).
00:01 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : lune, clair de lune, bonne étoile, nuit, scène nocturne, fenêtre, chance, orme, frêne, chat, renard, christian cottet-emard, blog littéraire, poésie, carnet
06 octobre 2011
Retrouvailles
Dans le temps qui parfois coule tel un ruisseau frais mais souvent tel un fleuve fangeux il t’arriva d’attendre la fin des journées de travail
Péripéties suscitant l’approbation d’amis et de connaissances perdus de vue puis retrouvés au coin de la rue alors qu’est-ce que tu deviens comment as-tu réussi à entrer dans ces entreprises on peut dire que tu en as eu de la veine tu étais si mal parti avec tes livres tes poèmes
Ah oui les livres les poèmes oui ils en ont entendu parler un peu mais les entreprises ça les intrigue beaucoup plus comment tu t’es débrouillé
Comme l’araignée qui s’installe dans un coin entre le mur et le plafond et qui n’a plus qu’à attendre au milieu de cette merveille de technique qu’est sa toile pour exercer sa répugnante prédation toutes astuces pour lesquelles l’araignée n’a que peu de mérite ignorant comme nous l’ignorons nous-mêmes d’où lui vient ce savoir faire
Jamais l’araignée n’apprend à tisser sa toile jamais l’araignée ne se préoccupe de savoir que ses fils sont si solides qu’ils peuvent entrer dans la fabrication de gilets pare-balles du moment qu’elle peut capturer les mouches rien d’autre ne semble compter pour elle
Même lorsque tu as l’impression qu’elle t’observe avec ses quatre paires d’yeux pendant que tu écris tes livres tes poèmes si insignifiants aux yeux des amis et connaissances perdus de vue puis retrouvés au coin de la rue
Alors à la prochaine disent-ils en s’éloignant pour toujours
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23:59 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : récit des lisières, éditions orage-lagune-express, christian cottet-emard, blog littéraire, droits réservés, copyright